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Manuel Mathieu : La beauté et l’amour comme inquiétude

23 septembre au 24 octobre 2020

Manuel Mathieu : La beauté et l’amour comme inquiétude

Manuel Mathieu, Boner, 2019
Techniques mixtes sur papier 
22 x 23 cm (9” x 9”)

Davertigue, La beauté et l’amour comme inquiétude

 

Nous ignorons peut-être l’évolution des arbres et des forêts

Nous qui sommes poètes et fils de la nature

Car à l’heure où j’écris sur cette table chargée de fossiles

Un peuple de bonheur meurt par dessus le voile de l’aurore

Des fruits profonds s’adoucissent sur des branches

La mer franchit cette frontière de l’extase et de la passion

La Beauté et l’amour sont donc à reconstruire

Sur les astres et sur les joues la tour secrète unie à nos angoisses

Pardonne à mes rêveries et à mes errances

Une putain a le sexe pur de la tornade

Une aurore vagabonde change le jour et prend le centre

Des tourments qui viennent sur le dernier bateau

Mon dernier port galopant aux pieds de la prairie

Petit cheval du soir aux yeux de romarin

J’ai tourné sur ma tête l’herbe sans prix pour ma mémoire

Je m’en souviens et les vagues se remémorent

Où sont les joies et les plaisirs du Début de l’Amour

Je la connais la femme qui fait vibrer le paysage

La sève s’amplifie et recolore nos souvenirs anciens

L’amour nous prend et nous explique le chemin de l’Éden

Que l’enfant qui s’en va baise mes joues fanées

La roue de mer tourne les folles vagues et doit tourner

Hier la forêt près de nous était un livre

Et des oiseaux chantent sur nos épaules L’hirondelle vers les Pôles tournait ses yeux opaques

Ce seul soleil de charbon contournant les larmes du ciel

Collier de voix autour du désert de nos corps

Celle qui venait avec cette aurore que j’aime

Qu’au centre de leur jardin se repose ma lampe

Elle s’éteint comme un tombeau sans souvenir

Cette mer fraîche c’est son profil scintillant dans le demi-soir

Un miroir aveugle aveuglant dans cette nuit sans chiffre

Ce fruit voyant dans le verger mûr de ma chambre

Ses doigts d’huile sensible réglant la geste d’incertitude

L’Équateur ce bâton de grains de réglisse dans l’émail du cancer

La structure broussailleuse limitant la vue du

Poète Au bas des ciels de zinc meurent mes yeux céruléens

Toute la NATURE est absente dans mes rêves

 

Et tournent et tournent les mers et les déserts

Les ciels gris de cristal les quais aux brides de l’Enfer de Rimbaud

Et non dans les mers de Cravan Arthur Arthur Artaud

Horizon lâché à midi du signe des yeux mortuaires du monde

Comme gueules battues aux battants pour l’embarcation

Le verre frotte ses doigts sur la pâleur de nos miroirs

Viennent des saisons au front de l’orage qui gronde

Horizon renversé d’obus derrière la course du mal-aimé

Apollinaire L’azur dans la courbe des sens reprend sa douceur d’autrefois

Et au cœur du matin nous sommes à la rencontre de l’espérance

Mon île liée au péril de ma vie

Le piroguier Césaire dans les pirogues des Antilles

Marche marche dans les tuyaux de nos oiseaux aventureux

Et ce nuage d’homme d’une mémoire de course

Est le cœur plein de vie des astres de Tzara

L’amour entre et sort et fait de nous un lac sanguinolent

Dans la plainte des larmes qui charrient nos enfances

Ô larmes de la mort dans l’ivrognerie de Dylan Thomas

Corbeaux mon panthéon aux vitres de l’azur

Clouées au front du ciel entre les mains ouvertes d’Edgar Poe

Dans cet espace indivisible aucun ange n’a répondu

La chute de l’enfance a refermé le Temple

Et Rilke a ouvert la lumière sur le paysage inconnu

La rose parée de sève plus belle que le jour

Le couple de pluie Éluard et Nush se tenant d’innocence

S’en allait à travers le jour et se couchait partout

Et toi assise sur le seuil de ta grâce subtile

L’étoile que tu portes au front se souviendra de ma passion

Je me regarde dans le miroir ton enfance devient ma jeunesse

Et le vertige remplit le ciel du poids de ce poison

Un pont sur ta main Claire et tes doux yeux

Une ville reconstruite dans le parfum du demi-soir

Un oiseau chante au coin de mon miroir

Ô ciel fou de Goll au moulin de la jalousie

La PROSTITUTION a des cheveux malades comme des bêtes féroces

Dites Lautréamont derrière un vieil Océan

Ce sont les chants du monde et les nuits à la recherche du fantôme

Puisque poète ma voix a dénoué le ruisseau

Sous les arcades de l’amour des poissons au-dessus des eaux

Entourées de bois de chandelle et de quinine

La CONVULSION de L’Immaculée Conception au front de l’ombre de Breton

Ô Desnos sur le pont de la vie où passent les Nazis

Je découvre la lame sans queue mordant nos cœurs

Un seul amour ininterrompu persécuté dans cette nuit

De cyclamen quand la France dans son cycle par toi abat l’infini

Et c’est aussi sur une même route avec Elsa

Ô mes chants érigés en stèles de sable remarquable

Comme des ciels de tuf aux horizons tabous où dialoguent les Parias

Par-dessus St-Aude et le soleil au coin de la rue St-Honoré

Riez e ne riez pas de ceux qui veulent tuer leur Roi

Qui fut en pays étrange étranger de son labyrinthe de propriété

Car à chacun appartiennent les monstres qui rejettent les lois

Autour de toi Michaux l’abîme exorcise nos plaintes

Je les connais aussi ceux qui s’élèvent avec leur libation

La mer montée vers nous dans le Temple-de-Mer de Perse

L’océan dans son architecture plus grande que l’avenir

 

Merdre aux voyous décervelés

Merdre Merdre au Père-UbuUn poète fait son portrait en crabeLà où Jésus déménage pour laisser ses cornets à désAh qu’ils s’effritent ces paumes de chauxJ’ai péché sur la lampe les pierres et les hommesHommes de l’inquiétude je ne vous ai jamais connusTant que la pente sera mouvante je prendrai toujours mon bateauSi c’est une fenêtre lyrique que l’on me donne des fleursJ’ai des bras comme les autres pour travailler des lèvres pour baiserJe me connais Davertige de tous les vertiges des sièclesJe les connais ces ciels de romarin où les enfants mal-nés gémirentOù la patrie et ses nuits sauvages d’amour dialoguentPassants dans la merveille des saisons arrêtez-vous devant ma lampeNos mains ont besoin d’écume et de sève

Ève ne portera plus le tort des désirs déchaînés par ses sens

Ni les voyous la puanteur qui accable le monde

Par-delà le vertige mon être pris de toute connivence

Avec les astres et les hommes

 

Au bras des ciels de zinc se raniment mes yeux céruléens

Toute la NATURE est présente dans mes rêves.

 

———

Ce poème de Davertige, « La beauté et l’amour comme inquiétude » a été publié pour la première fois en 1962 dans la première édition d’Idem. Le poème a été récrit par l’auteur pour sa publication dans l’Anthologie secrète (Montréal: Mémoire d’encrier, 2003, pages 18-21).