En trame de fond, un son sourd. Celui de l’eau, qui court sous toutes les grandes huiles encerclant la fontaine en verre, bois et céramique qui trône au cœur de la galerie. Tel un motif mélodique, cette onde semble inspirer les personnages des toiles Bird Noises Disappear Together With Satin Bowerbird, Wind Noises, Water Noises et Distance to a Certain Delicacy Disintegration à se joindre au mouvement, instruments de musique en main ou perches et microphones à l’affut. Cindy Phenix se demande : « Quel serait le dernier son à être entendu sur terre ? »
Avec l’exposition Water Shed Twinkle, Phenix célèbre une première décennie de production artistique (2015-2025) en proposant un nouveau corpus d’œuvres qui joue avec les mots et les sens intimés par le titre. Clin d’œil polysémique d’abord, la définition de « watershed » renvoie simultanément à la notion géographique de ligne de partage des eaux, ainsi qu’à l’idée d’un moment charnière dans l’histoire. Pour l’artiste, ce seuil décisif s’incarne dans l’urgence climatique et les deuils écologiques qui caractérisent notre époque. La majorité des peintures réunies étaient d’ailleurs en production pendant les violents incendies qui, en janvier dernier, ont ravagé Los Angeles, où son atelier est installé. Une perspective écocentrique, c’est-à-dire centrée sur la nature, traverse ainsi sa plus récente série dans une volonté d’imaginer d’inédites connexions, collectivités et actions pour rêver les temps à venir. C’est précisément ce que le scintillement suggéré par le mot « twinkle », dans le titre, souhaite ouvrir comme brèche par laquelle faire jaillir de l’espoir et de la joie.
Pour nourrir ses recherches, Phenix s’est tournée vers les écrits de l’anthropologue Anna Tsing et de la biologiste marine Ayana Elizabeth Johnson. Cette dernière défend que la restauration des écosystèmes passe surtout par le monde aquatique et les zones humides. Ainsi, dans Harmonized Discern Around the Iridescent Oration of Wavering Shallows et A Spell to Repeal a Certain Degree of Ghosts, une foule de petits gestes de soin sont apportés aux habitats des coraux, des baleines, des méduses et même des sirènes vivant dans ces toiles. Le coloris vif et les compositions fournies qui ornent les murs se transforment en mosaïque sur la figure monstrueuse qui occupe le centre de la galerie. La créature tend la patte vers les deux bassins, dont la superposition réfère aux anciennes horloges hydrauliques, comme si elle allait l’y tremper. Si elle touchait l’eau, déclencherait-elle la fin – le dernier son entendu sur terre ? Ou peut-être vient-elle d’y toucher… Une seule certitude : les sons voyagent plus longtemps sous l’eau.
~ Florence-Agathe Dubé-Moreau

Huile et pastel sur lin
Oil and pastel on linen
183 x 213,4 cm (72” x 84”)